Sam.8 fév.1936.- De Philippe Mornand, Versailles à Tilo, Dieciocho 45 :
Mon vieux Tilo, Déjà un an que je t’ai souhaité bon voyage
un matin rue Laurent Gaudet. J’ai l’impression qu’il y a bien plus longtemps que je ne t’ai vu, ... Tu devrais m’écrire de travailler
car je me la coule douce et si ça continue je serai collé ! J’ai encore un devoir de math.à faire mais ça m’embête
et je préfère t’écrire. …
Mar.7 juil.- De François, Le Chesnay à Philibert, Santiago : Cher Philibert, Cela a été un très gros coup pour moi d’apprendre que je n’étais
même pas sous-admissible à l’X ; j’avais durant cette année scolaire, fait des progrès qui me permettait
d’espérer quelque succès. …
Mar.18 août.- De Georges de H, Soultz à Tilo, Santiago : Mon petit Tilo, je suis très touché que tu m’aies envoyé trois devoirs. Si
je ne t’ai pas remercié plus tôt c’est qu’à Paris j’ai été occupé et préoccupé et je n’y suis
pas arrivé. ... Ton devoir
sur Voltaire et Rousseau ne valait pas loin de la moyenne, celui sur Chénier la valait, celui sur Chateaubriand vaut beaucoup
mieux.
Pour le premier tu n’as pas insisté suffisamment sur la différence de naissance des deux hommes, l’un était
un grand bourgeois devenu un aristocrate, l’autre un plébéien. De ce fait leur vie ont été différentes ! L’un
a eu une vie aisée, facile, une éducation normale, a suivi une courbe ascendante dans la gloire et dans la fortune, d’esprit
distingué et de coeur sec, il a été épris de justice sociale sans souffrir profondément de l’injustice sociale dont
il s’accommodait parfaitement,
alors que
J.J, fils du peuple, s’étant pour ainsi dire instruit lui-même, a été mêlé aux humbles, a eu une vie dure, des débuts
difficiles, une mort triste. Il a été épris de justice sociale car il en éprouvait impérieusement le besoin et la nécessité.
La sensibilité naturelle de Rousseau a fait plus que Voltaire, il a mis dans son œuvre de la joie et de la conviction.
L’influence de Voltaire sur son siècle a été d’intelligence, celle de Rousseau a été de cœur. Au point
de vue littéraire cette différence de nature se fait sentir également. Voltaire a abordé tous les genres. Il a été historien,
tragédien, philosophe, poète épique, faiseur de petits vers, romancier, épistolier. Encore une fois plus intelligent que sensible,
il n’a pas été un poète à proprement parler ; La Henriade manque de souffle, les petits vers sont infiniment spirituels
mais dépourvus de sensibilité ; tragédien il a repris la tradition classique de Racine ; ses romans ont été l’occasion
d’exprimer ses idées philosophiques ou sociales. Voltaire prolonge le classicisme sans apporter dans ses œuvres
la richesse profonde des grands classiques. Sa correspondance est une merveilleuse histoire contemporaine. Elle nous renseigne
sur les hommes du 18ème, sur les faits mais elle est dépourvue de sentimentalité.
J.J. lui a abordé franchement les questions sociales avec passion aussi bien dans les œuvres (Contrat social)
que dans des romans. J.J. a vraiment servi l’humanité et l’a servi de tout son cœur. J.J. qui n’a pas
écrit de vers est un grand poète lyrique, ayant un sentiment profond de la nature. J.J. est le père du romantisme (Rêveries
du promeneur solitaire).
Quoiqu’il en soit malgré leur différence Voltaire et J.J. ont dominé le 18ème siècle – l’un
et l’autre malgré leurs différences de tempérament et de procédés : ils ont eu sur le développement historique
et social du 18ème une influence considérable. L’un et l’autre portent des noms parmi les plus glorieux
de la littérature française, l’un Voltaire symbolise l’esprit français, l’intelligence française, l’autre
symbolise la générosité du cœur. ...
Dans le devoir (sur Chénier) tu as parlé un peu naïvement de la Révolution. Une Révolution n’est pas un crime,
elle donne lieu à des crimes. Une Révolution a toujours des causes qui l’expliquent et la légitiment. Donc ne pas blâmer
la Révolution mais déplorer les crimes dont elle a été l’occasion.
…