Jeu.15 oct.1953.- De Mère de Ste.Anne (Françoise d’Ussel) à Clémy (suite).
« C’est trop fort, cela ne doit pas être, il n’y a que la Reine et moi qui avons le droit de porter
ce nom ». ...
Après ma 1ère Communion nos rapports avec Lily changèrent. Je commençais à devenir
pieuse. À l’affection se joignit l’intimité. Les frères aînés allaient au collège. Hélène commençait à aider sa
mère dans la surveillance des petits, plus calmes il me semble que leurs aînés et moi je commençais à accaparer Lily.
Ce fut le commencement de l’âge d’or de notre intimité. Que pensait Lily à cette époque ? Elle était
en quête du plus grand, du plus beau. Les exemples de grande charité que donnaient tes parents ainsi que ceux de leur piété
si communicative ne pouvaient que l’entraîner dans ce sens. ...
Où l’union fut complète, c’est quand nous décidâmes de nous livrer à l’étude de la religion. Nous
allions ensemble aux conférences apologétiques du P.De Witasse et nous nous plongions dans tous les livres d’apologétique
que nous pouvions trouver et ensuite nous nous communiquions nos découvertes.
Mais c’est surtout quand nous parlions du Bon Dieu que nous nous comprenions parfaitement. Dans une lettre d’adieu
qu’elle m’écrivit en juin 1952, elle me rappelait nos conversations enfantines si vraies cependant sur le sofa
de cuir de la salle d’études, agenouillées devant la fenêtre et les indignations ou les craintes de la chère Mme.de
St.Sauveur (l’institutrice qui m’éleva) devant ces conversations si prolongées auxquelles elle ne comprenait rien.
Si elle avait su comme nous en sortions le cœur si chaud dans notre désir d’aimer et servir le mieux possible le
Bon Dieu. ...
Mais les années passent. Lily devient de plus en plus le bras droit de sa mère qui tantôt lui abandonne la direction
de la cuisine, elle va au marché avec la cuisinière ; ou est entièrement chargée d’un petit frère ou sœur.
Ta mère se loue beaucoup d’elle, elle a liberté complète vue la confiance que l’on a en elle.
C’est à cette époque que Lily passa la crise morale que tu dois connaître. Elle est devenue une jeune fille et
moi je suis restée une enfant sur bien des points ; j’ai la vocation mais on n’en sait rien et je suis décidée
à rompre avec le monde. Il est tout naturel que je ne suffise plus à Lily et à son besoin d’expansion d’autant
plus que nous ne pouvons pas nous voir souvent. Je ne me choque nullement qu’elle me parle de toutes ses nouvelles amies
et connaissances mais je sais qu’elle change sans en savoir la raison. ...
Combien dura cette crise. Je ne m’en rends pas compte. J’ai su par ma sœur Louise en gros ce qui s’était
passé. Lily en sortit très humiliée, se connaissant mieux et comprenant où la conduirait son tempérament livré à lui-même.
La grand-mère fut très fâchée et la chère liberté de jadis fut finie. ...
C’est le Père Tempé qui prit son âme en main. Très vite ses velléités passées de vocation se réveillèrent et
son enthousiasme retrouvé, elle décida d’entrer chez les Auxiliatrices, elle s’appellerait Mère St.Philippe, irait
au noviciat de Jersey et se préparerait à partir en Chine car elle voulait être missionnaire.
Quels furent alors nos rapports ensemble ? Jamais Lily ne me parla de ce qui s’était passé. Un jour seulement
je lui fis sentir ma joie de la voir revenue, la Lily d’autrefois. Elle me regarde et tout bas : Tu t’étais
rendue compte de quelque chose ? Oui c’est pourquoi je m’étais éloignée. Toute émue ... elle se leva, m’embrassa et ce fut tout. ...
Le Père Tempé oriente Lily vers le Sacré-Cœur, alors je lui ai tout dit sûre de sa discrétion. Le Père ayant dit
à tes parents que Lily avait une vraie vocation mais qu’il ne fallait pas la laisser traîner (c’est ta mère qui
l’a dit à la mienne), de suite ils acceptèrent qu’elle parte à Conflans comme une grande élève, puis qu’elle
entre au noviciat.
C’est à ce moment là que cessa notre intimité extérieure. J’ai été la voir 2 ou 3 fois à Conflans, elle
m’a dit qu’elle était heureuse, je n’avais donc qu’à l’aider par mes prières; autre chose aurait
été inutile pour les 2. Puis j’ai assisté à sa prise d’habit la veille du départ pour son noviciat en Italie.
Nous nous sommes embrassées pour toujours, pensant bien que nos deux voies quoique cheminant côte à côte vers le même but
ne nous permettraient plus de nous revoir, ce qui eut lieu. …