Fin sept.1913.-
De Georges, Paris à Tata, Prince Rupert : Ma chère Tata, votre
gentille lettre du 5 m’a fait le plus grand plaisir d’abord puis m’a très profondément touché. Vous exprimez
vos sentiments comme une bonne petite fille que vous êtes et je ne me plains pas de ceux que vous avez pour moi.
Je vous ai en effet très peu écrit, je crois même pas du tout depuis votre départ
et j’en ai un grand remords car vous ne méritiez pas que je vous abandonne à votre sort. Remarquez que je ne dis pas
triste car je le considère comme un des meilleurs que j’ai rencontré dans cette planète de boue. C’est peut-être
même pour cette raison que j’ai tant tardé à m’éxécuter. Les gens heureux m’agacent un peu.
Je vous parlerai peu de vous car bien que lointaine vous me faites une bonne impression ?
Vous connaissez les nouvelles. Vos parents partent jeudi 2 octobre. Votre père est plutôt mieux, votre mère peu brillante
et affreusement triste ; elle fait peine à voir et se laisse difficilement consoler. Mon art est impuissant, il est même
inexistant quoique vous en pensiez.
Vous savez que nous allons avec Luis à Lausanne. Cela sera très bon pour lui et
pour moi, mon oreille ayant besoin de soins sérieux si je ne veux pas devenir sourd sans aucune rémission. Luis va bien et
est très gentil. J’oubliais de vous dire que votre mère est très contente de vous et de votre correspondance, je ne
sais pas si elle vous le dit mais je le sais pour l’entendre, elle en parle très souvent. Continuez donc à lui donner
de vos nouvelles et soyez certaine qu’elle en sera touchée. Elle est si désemparée que les preuves d’affection
lui feront grand bien.
Vous vous
plaignez du silence de Marguerite, elle vous écrit pourtant souvent. Elle va tout à fait bien et est heureuse. Admirez le
marchand de bonheur que je suis ! Aujourd’hui nous avons été à Versailles voir en bloc toute la famille Mussy ;
ils vont tous bien aussi. Bouzy nous donne de grandes joies ; il est très gentil, très vif et très intelligent.
Je vais vous envoyer le livre de (Anatole) France ; je m’occupe également
de l’affaire de François, je ne crois pas au succès, tout va très mal malgré des reprises apparentes et le danger d’une
guerre avec l’Allemagne est toujours menaçant. J’aurais d’autant plus de raisons d’y croire que le
gros public n’en parle plus, et que la crainte en existe dans des milieux restreints de gens intelligents et occupés
en haut lieu.
Enfin tant pis je suis fait à cette idée comme à tant d’autres ! Qui
vivra verra ! Sur ce vieille Tata je vous quitte. Soyez certaine que je me réjouis plus que je ne le dis de vous savoir
contente. J’ai admiré vos photos, vos chiens et vos grâces. Envoyez de temps en temps. Je vous embrasse de tout cœur, Georges
Jeu.2 oct.1913.-
De Marguerite, Paris à Tata, Prince Rupert : .. ton si gentil mot m’est arrivé ce matin une heure après
notre retour de la gare. Je t’assure qu’il ne pouvait arriver mieux ! Quel départ ! C’était lamentable !
Maman avait l’air d’une loque humaine, navrée, désolée et malgré cela l’air calme que tu lui connais et
qui fait encore plus de peine à voir. Elle était si fatiguée en plus du chagrin. Papa était frais et rose et il exultait de
bonheur. Cela se lisait clairement sur sa figure. Son rêve tant désiré est enfin arrivé, il est seul avec Maman. Enfin seul !
Pour lui c’est un vrai cri de victoire. ..
Maman et Papa ont été si touchés de tes lettres qu’ils t’ont écrit hier tous les deux un petit mot ;
Maman l’a griffoné au crayon devant moi, elle était morte de fatigue et a quand même voulu le faire. Je te dis cela
parce que je sais que cela te fera plaisir.
Ton petit mot plein de cœur m’a vraiment touché et m’a fait du
bien ; tu as compris ce que Maman était pour moi et tu sens combien elle me manque ! Pauvre femme, elle est froide
et ne dit rien, mais